En Arabie saoudite, l’ouverture passe aussi par la mode
REPORTAGE – Le 12 avril, l’Arabie saoudite a accueilli sa première Fashion Week. Un événement qui révèle la complexité d’un pays où les droits des femmes progressent à petits pas.
Une abaya généreusement ouverte sur une minirobe à strass et un hijab au fond du sac. Ici, aux premiers rangs de la Fashion Week de Riyad, sous les longues robes sombres imposées aux femmes par des décennies de régime ultra-conservateur, des silhouettes se découvrent dans des vêtements sexy aux couleurs pétaradantes. Une petite révolution dans un pays où ces tenues d’en dessous ne se révèlent d’habitude qu’en privé. Un peu plus loin, une surveillance féminine à peine voilée se tient toutefois prête à recadrer sans ménagement celles qui s’aventureraient à sortir leur portable pour photographier des mannequins. Car s’il est bien question de liberté vestimentaire sous l’immense tente installée dans le parc verdoyant du Ritz-Carlton de Riyad, le rigorisme est toujours d’actualité : aucun homme, et aucune photo non officielle ne sont tolérés.
“Beaucoup de Saoudiennes présentes ne portent pas le voile. Diffuser des photos d’elles porterait atteinte à leur intimité“, expliquent les organisateurs forcés, eux, de se plier aux contraintes météorologiques et sécuritaires de la région. L’Arabie saoudite a donné son feu vert à sa toute première semaine de la haute couture à Riyad, mais l’événement a dû être reporté deux fois en moins d’un mois. Officiellement pour cause de tempête de sable. Officieusement, d’autres raisons circulent. Un missile (intercepté) a été tiré une heure avant le défilé depuis le Yémen vers Riyad ; on parle aussi de sponsors mécontents.
“Nous avons beaucoup de femmes designers à mettre en avant”
Du coup, le jour J, désorganisation aidant, sur les 1 500 invitées attendues, à peine 200 sont venues voir le show. Des Saoudiennes, des expatriées, toutes plus fortunées les unes que les autres. Sur les podiums, il y en a pour tous les goûts. Des robes dragées au tayloring déjanté de Jean Paul Gaultier (invité d’honneur pour l’occasion), en passant par la mode sportswear couture de la créatrice saoudienne Mashael Al Rajhi, nommée au Woolmark Prize 2016-2017. C’est elle qui a été choisie par Nike en octobre dernier pour dessiner son premier hijab de sport.
Ce jour-là, la jeune designer de 28ans ne cache pas sa fierté patriotique : “Riyad a tout pour devenir capitale mondiale de la mode.” La princesse Noura Bint Faisal Al Saud, membre de la famille royale et directrice associée de l’Arab fashion Council, organisateur de l’événement, insiste : “On veut inciter les Saoudiens à consommer chez eux, et donner l’opportunité aux femmes de s’ouvrir à un secteur professionnel porteur. Nous avons beaucoup de femmes designers à mettre en avant.”
Mentalités bousculées
Hasard du calendrier ? Les dates de l’événement coïncident avec la visite en France du prince héritier Mohammed ben Salmane Al Saoud, dit MBS. Lequel est reparti avec une dizaine de partenariats destinés à encourager le développement de la culture et du tourisme en Arabie saoudite. Et une plainte de la part d’une ONG pour “complicité d’actes de torture et de traitements inhumains” au Yémen. Malgré les violations persistantes des droits de l’homme par le royaume dénoncées par les associations, la popularité de MBS, âgé de 32 ans, ne faiblit pas.
Depuis deux ans, il est l’homme-orchestre du royaume wahhabite à l’origine d’un vaste chantier de réformes économiques et sociales visant notamment à repenser les droits des femmes. Les Saoudiennes peuvent désormais assister à un match de foot en tribunes, s’installer à une terrasse de café avec un homme, ne pas porter le hijab, écouter un concert, participer à une course et, à compter du mois de juin, prendre le volant. “C’est un prince charismatique. Il bouscule les mentalités conservatrices, observe Clarence Rodriguez (1), journaliste française à Riyad pendant douze ans. Il a avec lui les jeunes qui constituent 68 % de la population et répond à leur envie d’ouverture.” Pas au point d’autoriser une couverture digitale aux premiers podiums saoudiens. Un passage pourtant obligé et emprunté par les grandes fashion weeks occidentales pour capter le désir des millennials, la nouvelle cible favorite du marché de la mode.
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